En octobre dernier, les deux co-porte-paroles du syndicat Asso ont participé à une table ronde sur la question du Service civique au Conseil économique social et environnemental (CESE). Cette institution consultative, peu connue du grand publique a pour mission de participer à la définition et à l’évaluation des politiques publiques. Elle regroupe des représentant.e.s du patronat, des syndicats de travailleur/se.s et des personnes dites qualifiées. Une mission d’évaluation du dispositif de Service civique lui a été confié récemment. A l’occasion de cette mission, peu d’organisation critique du Service civique ont été auditionnée, c’est pourquoi il était important que notre syndicat puisse y porter sa voix. Malgré cela, ne nous leurrons pas sur ce qui ressortira de ces consultations malheureusement réalisées presque exclusivement auprès de personnes qui défendent le service civique et de ce fait n’ont pas peur de casser le droit du travail et apporter plus de précarité aux jeunes au nom d’une prétendue philanthropie.
Nous partageons ici avec vous les deux interventions des co-porte-paroles d’Asso. Dans la première intervention, Florence Ihaddadene, a replacé le Service Civique dans le contexte actuel du secteur associatif, dans la seconde, Florian Martinez a développé les revendication d’Asso sur l’évolution de ce statut et son inscription dans le droit du travail pour garantir une égalité de droit des travailleurs du secteur associatif.
Intervention de Florence Ihaddadene
Asso, créé en 2010, est le seul syndicat de travailleur/se.s associatifs. C’est aussi le seul syndicat qui accueille des volontaires. Nous nous sentons, de fait, particulièrement concerné.e.s par le service civique. Notre attention se porte particulièrement sur l’impact du dispositif sur les organisations associatives.
Aujourd’hui, le dispositif accueille 60% de femmes. 42% des volontaires ont un diplôme supérieur ou égal au bac+2. Près de 50% des volontaires étaient au chômage avant leur service civique. Ces jeunes sont qualifiés, pour la plupart, souvent étudiants, et cherchent une expérience professionnelle. Qui peut croire que les 350 000 volontaires attendus ne viendront pas se substituer à des emplois. Depuis 2010, pour la première fois, la croissance de l’emploi associatif, jusqu’alors vigoureuse, s’est interrompue avant de reculer. Difficile de ne pas faire le lien entre augmentation massive d’une main-d’œuvre précaire et peu coûteuse (pour ne pas dire gratuite) et la baisse de l’emploi associatif déjà précaire. Le secteur associatif est déjà un piètre employeur, est-il raisonnable de lui confier ces jeunes, sans qu’aucun contrôle suffisant ne soit organisé ? La cour des comptes, elle-même, déplorait le manque de contrôle. Aujourd’hui, les volontaires en difficulté dans leur structure peinent à trouver un relai. En bref, le service civique précarise des jeunes, particulièrement des femmes, qui n’ont pas accès à la citoyenneté sociale et aux droits sociaux fondamentaux qui y sont attachés (je parle ici de l’accès à l’assurance chômage, à la retraite complémentaire, à une protection sociale complète).
Sous-emploi, mise au travail gratuit, il met en péril le secteur associatif, déjà en difficulté pour mettre en place ses projets. Vous n’êtes pas sans connaître les travaux des chercheurs qui démontrent notamment que les financements publics au secteur associatif visent de plus en plus à soutenir l’emploi (ou la mise au travail du moins) et de moins en moins le fonctionnement en lui-même. Ainsi, le secteur associatif récupère sans cesse de nouvelles missions mais est de moins en moins soutenu pour celles-ci. Seule la baisse, fictive, du chiffre du chômage préoccupe désormais notre gouvernement.
Vous évoquez dans votre invitation, l’objectif de cohésion nationale. Mais le secteur associatif ne peut pas, à lui seul, répondre aux problématiques sociales françaises et réparer les politiques désastreuses qui divisent les travailleurs depuis des décennies. Non, le service civique ne peut pas être une réponse à l’embrigadement de jeunes djihadistes comme le suggérait Martin Hirsch dans une tribune dans le Monde en janvier 2015. Au contraire, les précariser sans cesse plus ne fera qu’augmenter la tension sociale Dans les associations de nos adhérents, il est facteur de concurrence entre salariés et volontaires, mais également entre volontaires, dans une course effrénée pour récupérer un CDD ou un CUI-CAE. Dans les universités même, le tutorat proposé par le service civique vient remplacer petit à petit l’accompagnement des équipes pédagogiques lors des stages étudiants, remplacés de plus en plus souvent par des volontariats, d’où disparait l’objectif de formation. Si certaines missions sont intéressantes, l’universalisation ne pourra pas les rendre toutes passionnantes. De nombreuses missions remplacent déjà les stages « photocopies » et « café », et la formation civique et citoyenne ne peut pas compenser le besoin de qualification.
Intervention de Florian Martinez
Les propositions du syndicat ASSO SOLIDAIRES couvre trois axes : l’inscription du statut de service civique dans le droit du travail pour stopper les dérives structurelles de ce dispositif, la lutte contre la précarité des volontaires et des jeunes de façon plus globale et enfin la reconnaissance du travail associatif.
L’inscription du statut de volontaire en service civique dans le droit
Notre urgence première et que le statut de service civique soit soumis au Code du travail et contrôlé par l’inspection du travail, seule institution légitime. Comme Florence l’a décrit, faute de contrôle et de moyens financiers suffisants pour les associations, les dérives à ce dispositif sont structurelles et nous estimons que les volontaires doivent pouvoir avoir accès à des droits et à des voies de recours (inspection du travail, prud’hommes, etc.) si leurs droits sont bafoués. De même, ils doivent pouvoir bénéficier du droit de grève et avoir la possibilité de solliciter et/ou d’être défendue et informés par des syndicats comme n’importe quel travailleur.
La lutte contre la précarité des jeunes
Comment admettre que des jeunes travaillent de 24 à 48 h pour 600 euros par mois (entre 2,60 et 5,20 l’heure de travail …) ? Comment fait-on pour vivre avec cette somme bien en dessous du seuil de pauvreté ? Il est urgent de rehausser l’indemnité à minima à hauteur du SMIC et de permettre aux volontaires de bénéficier d’une protection sociale complète incluant l’assurance chômage et la cotisation sociale. Nous appelons également de nos voeux l’instauration de revenus ou salaires garantis pour tous les jeunes de moins de 25 ans, quelque soit leurs activités.
La reconnaissance du travail associatif
Il est urgent de reconnaître l’apport du travail non marchand à la société et tout particulièrement l’apport du secteur associatif. Cela passe par l’arrêt de la mise en place de politique spécifique à ce secteur qui accroissent les difficultés du monde associatif à travers la mise en concurrence des associations et la précarité à tout crin. Je pense évidemment au dispositif de service civique mais également au dispositif de CUI CAE, aux emplois tremplins portés par les régions, aux propositions qui fleurissent de rendre obligatoire le bénévolat associatif pour les bénéficiaires du RSA.
Le secteur associatif, porteur de l’intérêt général et de nombreux projets de vivre ensemble (accès à la culture, au sport, lutte contre la précarité, hébergement des plus démunis, etc.) mérite davantage de reconnaissance de la part des pouvoirs publics. Cela doit passer par l’attribution de subvention de fonctionnement et non par des appels à projets, appel d’offre qui les mettent en concurrence. Les associations ont besoin de financement pérenne et non de dispositifs spécifiques qui précarisent la jeunesse et le secteur associatif.
En tout état de cause, une généralisation du dispositif service civique en l’état est inacceptable et inenvisageable pour le syndicat ASSO SOLIDAIRES. Les dérives concernant ce dispositif ne cessent de nous être remontées par des volontaires ou des salariés associatifs. Rendre ce dispositif obligatoire est un affront au dialogue social et à la jeunesse qui n’a pas besoin de plus de précarité. C’est aussi une mise en péril du salariat associatif déjà précaire.